SERGE DORNY : « L’OPERA, UNE FABRIQUE DE RÊVES »
Passionné. Passionnant. Serge Dorny, directeur de l’Opéra de Lyon depuis 2003, ne compte pas ses heures dès qu’il s’agit de parler de sa conception de l’art lyrique. Loin des clivages, il impose une vision résolument moderne à cet art complet, faisant de son institution la scène la plus créative de l’Hexagone. Rencontre.
Propos recueillis par Hervé Troccaz
En temps que directeur de l’Opéra de Lyon vous tenez à ouvrir cet art au plus grand nombre. Pourquoi ?
Je ne suis pas né dans une famille passionnée par l’Opéra. Ce sont des rencontres qui m’ont permit de me passionner au fur et à mesure pour cet art, à l’école notamment avec des professeurs qui m’ont transmis leur passion pour l’art lyrique. Je pense qu’il faut essayer d’ouvrir au quotidien cet art, au public le plus large possible. C’est ce mélange des genres qui le rend intéressant.
Quand j’officiais à Londres [Serge Dorny fût directeur du London Philarmoinc Orchestra – NDLR] j’avais organisé un spectacle autour des rituels. Je me suis aperçu en effet que la musique touchait toutes les cultures et tous les grands temps forts de la vie. De cette expérience, j’ai appris que l’on pouvait avoir différents accès à la musique. Qu’elle n’était pas réservée aux aficionados. La musique nous oblige à donner du sens à notre travail. Cette ouverture d’esprit nous invite à nous demander en permanence pour qui et pourquoi nous travaillons. C’est une tâche quotidienne constante, qui nécessite une remise en cause permanente. Rien n’est jamais acquis. Il faut donc aborder nos arts avec cet état d’esprit.
En tant que directeur de l’Opéra de Lyon je pourrai me laisser enfermer dans ma tour d’ivoire. Je dois au contraire décloisonner mon regard et mon écoute. Prenez l’exemple de Carmen, un classique. Cette pièce évolue à l’infini. Si nous jugions qu’il n’y avait qu’une seule manière de l’aborder, nous n’aurions plus qu’à mettre la clef sous la porte ! En somme c’est l’inconnu qui est intéressant, ce qui passe par la connaissance. Il faut faire preuve constamment de flexibilité, se nourrir des rencontres. Tout est à construire, rien ne doit être reproduit.
Comment minimisez-vous cette prise de risque, en confiant la mise en scène d’opéras à des personnes non-issues du domaine de l’art lyrique ?
L’Opéra est au croisement des arts. Il mêle la musique, le cirque, le théâtre, les arts plastiques. Wagner disait à ce sujet que c’est un art total. L’Opéra n’appartient pas à son chef, mais c’est lui qui lui donne une orientation. Une pièce comme MacBeth se révèle d’une incroyable actualité encore de nos jours. Quand je confie la mise en scène d’une pièce au cinéaste Christophe Honoré ou William, je vérifie simplement que sa « signature » est transférable dans notre domaine. Ce n’est pas une question de tendance, de mode. Une fois cet accord passé, nous aidons l’artiste en l’accompagnant, pour faciliter sa réussite.
Quand je rencontre un artiste, je me contente de définir simplement les angles, les différentes possibilités d’approches. Je lui parle de l’oeuvre. A lui ensuite de me démontrer sa pertinence. Je ne veux en aucun cas être le directeur d’un bâtiment figé, d’un mausolée. l’Opéra a une puissance extraordinaire. A ce titre, il demeure particulièrement essentiel de nos jours, pour les enjeux auxquels nous avons à faire au XXI ième siècle : le dialogue avec les autres, l’échange, le mélange des cultures.
Le public de l’Opéra de Lyon se révèle particulièrement varié.
Notre art vit quand il y a un public. C’est la rencontre entre l’oeuvre et l’assistance qui donne du sens. Une rencontre non pas avec un public, mais DES publics ! Je constate au regard de nos études que nous sommes parfaitement en phase avec la ville et ses habitants : la moitié du public de l’Opéra de Lyon a moins de 46 ans et un quart moins de 26 ans.
Daniele Rustioni vient d’être nommé directeur musical. Pourquoi ce choix ?
Nous avons voulu jouer la carte de la jeunesse en confiant les rênes de l’Opéra à ce jeune chef de 32 ans. C’est une belle opportunité pour lui, qui vient du monde de la musique ancienne baroque. Cette approche est typiquement lyonnaise ! Prenez l’exemple de Kent Nagano [de janvier 1989 à 1998, il a été le directeur musical de l’Opéra national de Lyon, où il a succédé à John Eliot Gardiner. – NDLR]. A son arrivée à Lyon, il était inconnu en France. L’homme, qui avait pourtant un intérêt pour la musique contemporaine, s’est révélé un chef talentueux à Lyon. Daniel s’inscrit dans cette lignée. Il apporte sa culture musicale italienne. Nous allons le pousser vers des horizons auxquels il n’est pas prédestiné.
Pourquoi avoir créé un Festival annuel à l’Opéra de Lyon ?
Depuis la deuxième saison de mon mandat j’ai voulu créer un projet qui fédère les différentes ressources de cette maison. Monter trois nouveaux spectacles de front cela implique une logistique resserrée et entraîne une vraie solidarité fédératrice entre les différents corps de métier. Cela permet également à cette maison de créer un rapport différent avec la cité : pour un temps bien délimité, l’opéra en devient quasiment le cœur. Il y a à chaque fois un avant et un après Festival. J’ai le sentiment qu’après chaque édition la “maison Opéra de Lyon“ sort transformée.
Lors du prochain festival annuel vous avez programmé La Juive de Jacques-Fromental Halévy en la confiant à Olivier Py…
Je m’intéresse beaucoup à ce répertoire et le thème de l’ouvrage d’Halévy rejoignait celui du prochain Festival intitulé « Pour l’humanité ». La tolérance, la fraternité, l’ouverture d’esprit, tout cela est traité dans La Juive. Là encore, que de résonances avec l’actualité ! On a toujours pensé qu’avec la fin de la deuxième guerre mondiale, puis la chute du mur de Berlin, les tragédies de l’Histoire s’arrêteraient là. Finalement non. Initialement le thème du Festival était l’autre, l’étranger. Le sujet de La Juive c’est tout cela à la puissance cent, un opéra qui traite de la liberté de la foi, de l’intégrisme, de la tolérance. Songez que lors de sa création à la Salle Le Peletier le 23 février 1835 La Juive a remporté un immense succès auprès du public parisien avant de gagner les scènes du monde entier, du Met de New-York aux opéras allemands. Elle n’a disparu du répertoire en Allemagne qu’en 1934 devant la montée du nazisme.
A plus d’un titre c’est une œuvre emblématique. Elle pose des défis redoutables à ses interprètes, aux chanteurs d’abord, mais même à l’orchestre. Et je pense qu’elle correspond parfaitement à Olivier Py, qui d’ailleurs s’est déjà illustré dans ce style du grand opéra français avec un ouvrage dont la thématique spirituelle est proche, Les Huguenots de Meyerbeer. Le dispositif scénographique qu’il présente est extrêmement excitant !
Comment arrivez-vous à garder une vision sur le long terme, dans un contexte de restriction budgétaire ?
Je défends bec et ongles ma maison. Grâce à cette approche, nous avons un budget stable jusqu’en 2018. Nous devons participer à l’effort collectif, cela ne me pose pas de problème. L’Opéra, c’est une fabrique de rêves ! De nombreux métiers contribuent à créer ce spectacle. C’est un centre de ressources animé par près de 400 personnes ! Rien qu’en terme d’action culturelle, nous employons cinq personnes pour faire rayonner votre institution au-delà des murs, notamment à Vénissieux et sur les pentes de la Croix-Rousse. Nous intervenons également en milieu scolaire, sur les pentes de la Croix-Rousse.
L’Opéra est un acteur citoyen, il va à la rencontre des habitants, il s’investit dans la Cité. J’ai en tête une opération sur les pentes de la Croix-Rousse qui avait passionné près de 600 personnes. Et bien, croyez-le ou non, à l’heure des réseaux sociaux, cette opération avait permit à certaines personnes de prendre le bus pour la première fois ! Certaines ont même vu leur vie transformé à la suite de la représentation en se passionnant pour l’Opéra. Preuve que notre art fait bouger les lignes et demeure plus que jamais nécessaire dans la vie de la ville.
Photos copyright © Philippe Pierangeli.