LES NAUFRAGES d’après le roman de Patrick Declerck 

Mise en scène d’Emmanuel Meirieu avec François Cotrelle du 5 au 23 juin  Halle Debourg à Gerland (LYON 7e)

Dans le cadre des Nuits de Fourvière 2018

ou l’autopsie de la misère ordinaire

Les naufragés / Emmanuel Meirieu
Les naufragés / Emmanuel Meirieu

Inutile de  naviguer par gros  temps. Il suffit de fermer les yeux, d’écouter  et d’ouvrir son coeur à ce qui se joue chaque jour autour de nous et qui devient à force de l’ignorer  d’une transparence insupportable.

 

Un  décor grandiose

C’est dans cet  endroit improbable, la Halle Debourg à Gerland qu’Emmanuel Meirieu et son complice Julien Poncet  de la Comédie Odéon , contre vent et marée, ont décider d’amarrer leur voilier au quai d’un hangar désaffecté.

Passé la porte d’entrée le spectateur se retrouve immédiatement « dans le bain » , si j’  ose ce jeu de mot ,   sur une plage de sable où  un voilier  s’est échoué ainsi que  quelques objets qui souillent  les lieux : une chaise, une vieille carcasse de voiture, quelques bouteilles ….

Un texte poignant

Patrick Declerck, psychanalyste, philosophe de formation, docteur en anthropologie et membre de la Société psychanalytique de Paris, a passé quinze ans à rencontrer des clochards : ce livre reprend sa thèse ethnologique (atypique prend-il soin de préciser) pour laquelle il a vécu des expériences d’immersion, se faisant par exemple recueillir et amener parmi les SDF au CHAPSA de Nanterre (Centre d’Hébergement et d’Assistance aux Personnes Sans Abri).

L’ouvrage adapté par Emmanuel Meirieu est composé de deux parties, intitulées « Routes » et « Cartes » : « Routes » propose des témoignages, des histoires de vie et des vignettes cliniques, qui tentent de rendre compte de la vie des clochards, de quelques profils habituels et de quelques individus remarquables.

Bien des pages de l’ouvrage font place à « l’humour », un humour parfois grinçant il est vrai. Ainsi en est-il en finale de la recherche dans les labyrinthes administratifs de ce qu’il est advenu du corps de Raymond, l’hébergé qui servait à la salle de garde du service médical et qui est décédé devant l’hôpital après ses échecs à assumer la « véritable » réinsertion qu’on lui avait proposée.

Une mise en scène audacieuse

Emmanuel Meirieu
Emmanuel Meirieu

Emmanuel Meirieu. Photo Joël PHILIPPONAssister à un spectacle d’Emmanuel MEIRIEU c’est aller à la découverte d’un engament humain, social et politique qui entre en résonance avec des fait réels.

 

Pourquoi avoir choisi ce texte choc à succès, déjà vendu à 150 000 exemplaires pour lui donner vie ?

 

En tant que simple lecteur,  j’ai été complètement bouleversé par ces vies à la dérives décrites dans le roman-essai de Patrick Declerck. Ce qui est fou c’est que nous les côtoyons tous les jours. Souvent, ils sont ivres et peinent à mendier. Ils sentent mauvais, vocifèrent et font un peu peur. Nos regards se détournent. Qui sont ces marginaux aux visages ravagés ? Ce sont les clochards. Fous d’exclusion. Fous de pauvreté. Fous d’alcool. Et victimes surtout. Hallucinés, ivres, malades, c’est un autre et impossible ailleurs dont ils s’obstinent à rêver furieusement.

Qu’avez-vous gardé du roman-essai en l’adaptant avec Patrick Declerck ?

 L’essentiel, c’est à dire environ 10% nécessaires pour écrire avec Patrick l’adaptation qui  n’est pas scénarisé . Je suis très attaché aux faits divers et ne crois pas à la fiction. Pour atténuer la réalité brutale des faits , je propose aux spectateurs une rêverie . Par ailleurs, ne voyez surtout pas d’ aspect pamphlétaire de ma part car commeDeclerck je m’attaque dans le spectacle aux échecs et aux impasses de l’institution, pas à celles des individus, soignants et autres, pour lesquels j’ai moi-même le plus grand respect. Je ne recherche pas l’âpreté mais l’émotion et la compassion par la construction d’un écrin à cette matière humaine.

 

Peut-on parler d’un spectacle à l’économie de moyens ?

Malgré la modestie du budget, je n’ai pas pour autant cédé comme vous pouvez le constater à l’économie de moyens. Grâce à l’aide de personnes bienveillants à notre égard  nous avons pu obtenir pour réaliser le décor : le voilier, le sable, la carcasse de voiture et autres accessoires gratuitement.

Vous avez testé d’abord la pièce  à Colmar ?

Oui ! à la Comédie de l’EST pour 3 représentations avec la complicité du comédien et un metteur en scène Guy Pierre Couleau qui dirige depuis 23009 le Centre Dramatique National et dont je suis artiste associé  . Force est de constater que depuis longtemps beaucoup de spectacles sont rôdés en province à Lyon ou au Festival d’Avignon avant d’ être présentés à Paris

 

Commentaires

 À chacun des spectacles d’Emmanuel Meirieu, des êtres viennent se raconter, seuls en scène, dans une adresse publique, assumée. Il n’y a qu’au théâtre que le personnage d’une histoire est physiquement présent, vivant, au même instant que nous. Ici, c’est aux limites de l’humain que nous sommes conviés et c’est heureux.

Amarré à son micro, face public  François Cotrelle nous raconteune histoire linéaire où l’on suit un personnage pour lequel on redoute et espère avec empathie.

Certains spectateurs pourraient trouver ce parti pris de mise en scène fastidieux ? D’autres s’en réjouiront  parce qu’il symbolise la voix dont sont privés les anonymes de cette traversée Humaine, le tout sans rien adoucir du propos. Ainsi suit-on l’enquête autour de Raymond, qui s’est laissé mourir à l’arrêt de bus situé à 15 mètres du Centre. Dans la peau du psychanalyste, François Cottrelle cherche son corps disparu qu’on ne trouve nulle part, découvre les étapes de sa clochardisation.

Comme toujours, la mise en scène d’Emmanuel MEIRIEU est d’une précision d’horloger, minimaliste  et  très cinématographique .

Le coté statique du récitant derrière son micro pendant toute la durée de la pièce m’a un peu gêné  même si ce long monologue était nécessaire pour faire naitre en nous une foule d’émotions à l’écoute des faits .

Quant à l’arrivée d’un PUCK en référence à Shakespeare,  qui vient nous expliquer que nous avons participés à une rêverie et que si nous avons aimé le spectacle,  ils reviendront ;   cela m’a paru un tantinet superflu.

Gérard SERIE

Site officiel des Nuits de Fourvière 2018

Crédit photos : LoLL Willems