Rencontre avec Benoit Turjman. Ce dernier propose un fantastique spectacle depuis près de trois ans, intitulé Le voisin.
Propos recueillis par Hervé Troccaz
Quel est votre parcours ?
Au départ je me destinais à une carrière sportive. Je souhaitais devenir joueur de baseball professionnel. Mais comme j’étais bon élève, j’ai intégré la fac puis Sciences-po. Comme je suis travailleur et que je possède une bonne mémoire, ainsi que d’une capacité de synthèse, ces qualités m’ont permis d’évoluer au sein du système scolaire français.
Lors de mes études à l’université en fac de droit à Lyon 2, j’ai fait la connaissance d’étudiants passionnés, et j’ai intégré alors une troupe de théâtre amateur. Le virus ne m’a jamais quitté et j’ai continué dans cette voie, y compris lors de mes études à Sciences-po. Dans ce cadre, j’ai découvert le théâtre gestuel, qui m’a permis d’enrichir mon jeu, d’installer un univers. J’ai adoré faire vivre quelque chose d’impalpable, voir la relation que cela permet d’entretenir avec le public dans le silence. J’ai également découvert qu’un artiste que j’admirais, Alexandro Jodonowsky (notamment connu pour être un scénariste de bandes dessinées) avait lui aussi commencé le théâtre par le mime, à la fin des années 40.
Et donc après vos études à Sciences-po vous avez décidé de consacrer votre vie au mime…
J’ai débuté par un stage de mime l’école du mime Marceau pendant une semaine avant de passer le concours où j’ai été accepté. En parallèle de mes études j’ai également été cascadeur pendant deux ans.
C’est ainsi que vous avez notamment été cascadeur pour Mister Bean !
En effet, sa doublure officielle n’était pas disponible. Durant cet été là, de nombreuses grosses productions se déroulaient dans la capitale : Rush Hour, Astérix et Obélix aux jeux Olympiques etc. de nombreux cascadeurs n’étaient pas disponibles…Cela a été une formidable opportunité !
Sans effectuer de parallèles, puisque que votre personnage est bien distinct, il présente toutefois quelques similitudes avec le comique anglais notamment les onomatopées…
En effet, j’assume complètement les références et les clins d’œil tout au long de mon spectacle, même si je possède ma propre identité. Je vois ces allusions comme des citations qui enrichissement vocabulaire. Difficile aussi de s’affranchir d’une autre influence, à savoir le mime Marceau qui m’a appris à structurer une histoire, la rendre pure, et simple, efficace.
Comment est né le spectacle le Voisin ?
L’aventure a débuté réellement en avril 2016 lorsque j’ai emménagé à Lyon, après avoir vécu notamment à Paris. J’avais réalisé les prémices d’un spectacle solo, avant d’intégrer un duo. Puis quand ce dernier est arrivé à terme, j’ai repris mon personnage. Au départ j’avais conçu 40 minutes de spectacle, que j’ai épuré depuis pour ne garder que le meilleur. C’est un spectacle constamment chantier, qui a largement évolué depuis 2016. Il a connu un développement croissant notamment grâce à l‘Espace Gerson, qui grâce à ses plateaux offre un espace de création incroyable ! C’est également en allant à la rencontre du public que je peux faire évoluer le tout mais, je me sers beaucoup des retours des spectateurs. Chaque remarque, chaque ressenti trouve une traduction technique.
Le mime est un genre à part, qui demeure peut représenté actuellement. Pourquoi ?
En tout cas, je suis le seul dans mon registre. La plupart des mimes sont des bruiteurs, leur jeu vient du bruit, même si le corps reste expressif. On peut citer Patrick Cottet-Moine, qui base beaucoup son humour sur les bruitages ou Sir John, qui incarne un agent secret. Dans le cadre de mon personnage, si on enlève le son, cela ne nuit pas à la compréhension de l’histoire. Je pratique la pantomime. Si on y prête plus ample attention, les sons diminuent au fur et à mesure de l’avancée du spectacle, car ils ne sont plus nécessaires. Il y a beaucoup de peur et de préjugés autour du mime !
Pourquoi ?
Il existe un faisceau de raisons. Le mime a été extrêmement populaire grâce à Marceau qui a considérablement développé cet art. Mais comme il le disait lui-même, il y a eu beaucoup de copies, plus ou moins bonnes, et surtout de moins bonnes ! J. Au fil des ans on a constaté un développement des formes allant vers l’abstraction. Durant les années 80/90, les spectacles de mime ont été vendus pour le grand public, alors qu’il s’agissait d’une forme expérimentale. Cela a généré de nombreuses incompréhensions. Le grand public a besoin de s’appuyer sur quelque chose de compréhensible et de tangible. Si on devait réaliser une métaphore, le tableau de la Joconde se révèle accessible au plus grand nombre, même s’il comporte une part de mystère.
Dans quel contexte de mime a-t-il connu un essor ?
Étonnamment lors des dictatures. Par exemple lors du règne de Napoléon, car l’empereur censurait la parole dans les théâtres. Le mime s’est également développé du temps de l’empereur Auguste, car les langues étaient différentes et durant l’Antiquité on pouvait même assister à des batailles de mimes. Comme plusieurs dialectes été pratiqués, le langage gestuel était très pondérant.
Plus proche de nous, certains Ovnis ont également marqué les esprits notamment dans le contexte d’après-guerre avec Jacques Tati, qui a imposé un monde fantaisiste.
On me dit souvent que le mime réveille en chacun de nous une part d’enfance. Ce n’est pas un hasard, car d’un point de vue ethymologique, « enfants », et plus précisément « in » « farer », est celui qui dans le monde latin ne parle pas.