L’homme le plus heureux du monde de Teona Strugar Mitevska avec Jelena Kordić Kuret, Adnan Omerovic, Labina Mitevska
L’homme le plus heureux du monde – Synopsis
Sarajevo, de nos jours. Asja, 40 ans, célibataire, s’est inscrite à une journée de speed dating pour faire de nouvelles rencontres. On lui présente Zoran, un banquier de son âge. Mais Zoran ne cherche pas l’amour, il cherche le pardon.
L’homme le plus heureux du monde – Critique du film
A travers ce titre à priori énigmatique, les spectateurs découvriront plus tard dans le film sa véritable signification. Cette l’histoire presque oubliée nous replonge dans la guerre des Balkans (dans l’ex-Yougoslavie) qui s’est déroulée de 1991 à 95 et qui sert de toile de fond à ce drame humain.
C’est surtout l’histoire vraie de la co-scénariste Elma Tataragić âgée de 17 ans à cette époque, qui sert de trame à ce film théâtral tourné dans un lieu unique, pendant une journée et avec une même troupe de protagonistes.
Plus de 25 ans après le siège de Sarajevo, voici un film suffisamment rare qui évoque à travers deux personnages principaux : Asja la victime) et Zoran (le bourreau), cette période historique douloureuse.
Raconter les déchirements d’une nation est toujours mal aisée, mais faire se rencontrer par hasard à la même table lors d’un speed dating, une femme blésée 30 ans plus tôt par son propre sniper est encore plus surprenant pour ne pas dire insoutenable. C’est pourtant ce que réussit à faire avec beaucoup de talent la réalisatrice Teona Strugar Mitevska.
La séduction de départ entre eux se transforme rapidement en ressentiment lorsque Zoran lui explique qu’il lui a tiré dessus volontairement et pour la 1ère fois le 1er janvier 1993, avant qu’il fasse par la suite d’autres victimes.
Le huis-clos permet l’expression des sentiments enfouis entre, d’un coté la colère et la résilience d’Asia et de l’autre, l’inexpérience d’un homme du peuple pris au piège dans la tourmente de la guerre.
C’est un film fort et très réussi sur le paradoxe bosniaque : la conscience qu’il faut tourner la page, mais l’impossible oubli et la difficulté à pardonner de la part de la victime.
Il y a pourtant un moment de bascule très intéressant dans le film, lorsqu’Asia demande à Zoran de caresser la blessure qu’il a provoquée dans son dos quand elle avait 17 ans .
Le seul problème d’Asia, femme ordinaire est son incapacité à rencontrer quelqu’un qu’elle puisse aimeret qui la conduise sur le long chemin du pardon.
Une réalisation fine et intelligente
La réalisation originale, fine et très intelligente, surprend en permanence les spectateurs qui se demandent comment va s’achever cette journée.
Pour ménager l’effet de surprise finale, Teonar Strugar Mitevska ouvre des portes, suggère des intentions, pose des questions, mais ne donne pas pour autant de réponse. C’est efficace et brillant à tous points de vues
Malgré quelques pointes d’humour bienvenues et une scène de danse déjantée époustouflante, le film devient un huis-clos de plus en plus oppressant, proche de la torture psychologique pour les personnages principaux, interprétés par un couple d’actrice-acteur géniaux
J’espère que les spectateurs retiendront la citation de l’écrivain Paul Valéry « La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacre pas «
Gérard SERIE