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D’ART D’ART
La 17e édition de la Biennale d’art contemporain de Lyon investit cette année des lieux emblématiques de la ville, dont les Grands Locos. Ce site industriel de 20 hectares, qui fut un centre névralgique d’activité pendant près de 170 ans, accueille aujourd’hui des œuvres contemporaines qui dialoguent avec son riche passé ouvrier. Entre installations monumentales et performances audacieuses, chaque œuvre invite à une immersion unique au cœur de cet espace chargé d’histoire. Après mon interview de Sabine Longin, directrice générale des Biennales à  Lyon, voici le compte-rendu de ma visite.
Un thème porteur de sens : Les Voies des Fleuves
La Biennale s’articule cette annĂ©e autour du thème Les Voies des Fleuves. Un choix symbolique, car au-delĂ de la simple Ă©vocation aquatique, ce thème invite Ă une rĂ©flexion profonde sur les relations humaines et l’accueil de l’autre. Les fleuves, qui relient les terres et les peuples, deviennent une mĂ©taphore des liens qui nous unissent ou nous sĂ©parent. Les artistes ont interprĂ©tĂ© ce thème de manière variĂ©e, en y insufflant leurs visions personnelles et en explorant ce qui nous lie, nous dĂ©lie, nous rassemble et nous divise. Dans un monde en quĂŞte d’altruisme et de dialogue, ce thème rĂ©sonne avec force et justesse, encourageant les visiteurs Ă se questionner sur leur propre rapport Ă l’autre, sur ce qui fait et dĂ©fait les communautĂ©s.
Un lieu transformé : un dialogue avec le passé industriel
Les Grands Locos, autrefois dĂ©diĂ©s Ă l’industrie ferroviaire, se mĂ©tamorphosent aujourd’hui en espace de crĂ©ation. Ce site industriel imposant, tĂ©moin des dĂ©cennies de travail ouvrier, est revisitĂ© par des artistes qui exploitent chaque recoin pour mieux en rĂ©vĂ©ler l’histoire. Ă€ travers des projections, des Ă©crans interactifs, et des installations en symbiose avec l’architecture, les Grands Locos deviennent le théâtre d’un dialogue entre passĂ© et prĂ©sent. Les traces d’usure, les lignes architecturales et les vastes espaces vides tĂ©moignent de l’époque oĂą ces lieux Ă©taient animĂ©s par des milliers de travailleurs. Les Ĺ“uvres s’intègrent harmonieusement, en respectant cette mĂ©moire collective et en apportant des rappels visuels et thĂ©matiques qui soulignent le caractère monumental de l’endroit. Par endroits, la nature reprend ses droits, symbolisant la rĂ©silience et le renouveau au sein de cet espace chargĂ© d’histoire.
Les oeuvres présentées aux Grandes Locos
Myriam Mihindou – Lève le doigt quand tu parles (2024)
Dès l’entrée dans le hall un, l’œuvre de Myriam Mihindou impose une atmosphère de puissance symbolique avec Lève le doigt quand tu parles. Cette installation présente des moulages d’avant-bras de femmes, tendus vers le ciel, les doigts levés, dans un geste collectif et ambigu. Ce geste, à la fois simple et chargé de sens, rappelle les luttes féministes, entre silence imposé et revendications, entre résilience et résistance. Inspirée par les luttes sociales et syndicales, cette œuvre entre en résonance avec l’histoire des Grands Locos, ancien lieu de labeur ouvrier, en soulignant la dimension de réparation et de résistance. Mihindou explore ici les thèmes de la mobilisation, de la révolte, et de la dignité, en invitant le spectateur à réfléchir sur la place des femmes, les droits humains et la mémoire collective.
Nathan Coley – There Will Be No Miracles Here (2006)
L’installation lumineuse de Nathan Coley, intitulée There Will Be No Miracles Here, est à la fois imposante et intrigante. Érigée sur des échafaudages, cette phrase, en lettres lumineuses, attire instantanément le regard. Inspirée d’une proclamation du XVIIe siècle, utilisée pour restreindre les ardeurs religieuses dans un village de Haute-Savoie, cette œuvre questionne la notion de foi, d’espoir et de miracles dans notre société moderne. Coley choisit cette expression pour interpeller le spectateur sur ses attentes, ses croyances, et la manière dont le désir de « miracles » façonne notre vision du monde. En utilisant un lieu comme les Grands Locos, chargé de labeur et de mémoire industrielle, Coley juxtapose la réalité pragmatique de ce site avec une phrase qui résonne comme un avertissement, voire une provocation. Une œuvre qui invite à la réflexion, en équilibrant ironie et profondeur.
Michel de Broin – Mortier Fati – Lignes de lumière (2024)
Dans les hauteurs des Grands Locos, Michel de Broin transforme l’espace avec Mortier Fati – Lignes de lumière. Son œuvre, installée sur le plafond voûté, utilise des matériaux bruts tels que le ciment, la chaux et le sable, rappelant la robustesse et la fonction utilitaire des Grands Locos. Cependant, de Broin va plus loin en insérant des lignes de lumière qui soulignent les fissures et les failles de la structure, symbolisant à la fois la vulnérabilité des lieux et leur capacité de résilience. L’artiste explore ici la notion de réparation, non seulement au niveau physique, mais aussi en tant que métaphore des liens sociaux qui se tissent et se réparent au fil du temps. Mortier Fati devient ainsi un hommage à l’endurance de la structure industrielle, et un écho à l’effort collectif nécessaire pour réparer et réinventer nos relations et nos sociétés.
Hans Schabus – Monument for People on the Move
Les installations sculpturales et architecturales de Hans Schabus résultent d’une exploration très personnelle des lieux et des contextes d’exposition. L’artiste questionne les relations entre les œuvres et leurs environnements, en utilisant des matériaux inattendus ou en jouant avec des circonstances improbables. Par des actes radicaux — creuser, combler, construire, couper —, Hans Schabus détruit et restructure l’espace, modifiant les repères et les déplacements du public et proposant une perception nouvelle des sites d’exposition.
Après une enquête sur l’histoire industrielle des anciennes usines dédiées à l’entretien et à la réparation des trains de marchandises, Hans Schabus réalise pour les Grandes Locos une intervention sculpturale qui relie différentes halles. Aux dimensions d’un fuselage d’un Airbus A321, la structure prend en bois de Monument for People on the Move (Monument pour les personnes en mouvement) repose sur des essieux de trains, symboles de protection et d’étroitesse, qui s’opposent aux mouvements rapides des transports aériens. Empreint d’airs de rotondes ferroviaires et d’installations esthétiques (se référant à des sculptures de motifs issus des toiles de Sigmar Polke et des reliefs de la Sécession à Vienne), l’œuvre de Hans Schabus initie un dialogue avec l’espace où les gens sont invités à traverser l’installation et à interagir ensemble.
Ange Leccia – Trois Temps
Depuis les annĂ©es 1980, Ange Leccia mène parallèlement un travail sur l’image en mouvement et une rĂ©flexion sur l’objet Ă partir de l’emploi de matĂ©riaux prĂ©existants. Ă€ travers la vidĂ©o et la sculpture, l’artiste dĂ©veloppe des « arrangements », au moyen de procĂ©dĂ©s de superposition et de confrontation, afin d’obtenir et de donner justice Ă la relation entre les choses. DĂ©fenseur d’une pratique de la « manipulation », tant pour les objets que pour les images, il efface leur fonctionnalitĂ© au profit d’un questionnement fondĂ© sur leur signification et sur la manière dont ils reflètent la sociĂ©tĂ© qui les utilise.
Inspiré par l’histoire des Grandes Locos, ancien centre technique de la SNCF et témoin de l’histoire du chemin de fer, Trois Temps est un montage d’images vidéographiques issues de différentes temporalités et géographies. Projetée dans des usines autrefois consacrées à la révision de locomotives électriques et à la maintenance des pièces détachées, l’œuvre vidéographique d’Ange Leccia associe les vues prises depuis les wagons de train ou des quais de gare à travers le monde pour former un territoire en tension et en perpétuel mouvement. Son travail reflète le format narratif du film cinématographique et privilégie le mode contemplatif par rapport à la recherche de défilement et de l’instantanéité lumineuse. Confrontant des paysages et des visages, Trois Temps est une méditation sur la vitesse, le mouvement, et font écho à la mobilité et au déplacement des trains.
Feda Wardak – Les sols ont vibrĂ©
Le travail de l’architecte et artiste afghano-français Feda Wardak se décline sous la forme d’installations monumentales dans le paysage, de créations chorégraphiques et de films. Il s’intéresse à des modèles d’organisation communautaire qui s’élaborent indépendamment de l’aide des pouvoirs publics. Au prisme des sciences politiques et sociales, ses dispositifs artistiques en récit les violences invisibles qui agissent sur des environnements habités.
Les sols ont vibré de Feda Wardak explore la destruction des karez afghans — ouvrages hydrauliques millénaires de sous-sols — à la suite des attaques de souterrains Air Force et leur reconstruction par les populations locales. L’installation met en relation en tension trois contextes spatiaux : le ciel, le sol et les sous-sols. Depuis le ciel s’exerce le contrôle des forces américaines, les stigmates au sol y racontent les violences de l’appareil impérialiste, tandis que depuis les sous-sols la résistance afghane ne fait pas écho à l’étendue des galeries d’eau. Parmi les zones épargnées par les bombardements, se trouvent les vestiges des aménagements faits par Alexandre Le Grand, d’anciens savoirs de la lutte pour l’eau, protégés de l’Occident. L’artiste s’empare d’une civilisation de la résilience et entend se souvenir des savoir-faire hydrauliques afghans en y associant une lecture des conflits afin de proposer un sous-sol social, selon sa définition, et s’emploie à imaginer que l’infrastructure souterraine répond aussi qu’à la surface.
La suspension immatérielle des éléments ouvre ainsi un espace d’hospitalité, vertical, et dans la dynamique des temps qui s’effacent face à des récits multiples de la destruction et de l’organisation des mondes. Les sols ont vibré examine différentes manières, sociales et spatiales, de préserver une identité sociale, spatiale et culturelle afghane.
HĂ©lène Delprat – Vous ĂŞtes en train de m’enregistrer ? (2024)
Dans Vous ĂŞtes en train de m’enregistrer ?, HĂ©lène Delprat joue avec le thème de l’omniprĂ©sence des dispositifs d’enregistrement et de contrĂ´le dans notre sociĂ©tĂ© contemporaine. En mĂ©langeant peinture, vidĂ©o, et sons enregistrĂ©s, elle crĂ©e une installation immersive et presque paranoĂŻaque. Les fragments visuels et sonores se chevauchent, offrant une mosaĂŻque de voix et d’images qui Ă©voquent Ă la fois la surveillance et la vulnĂ©rabilitĂ©. Cette Ĺ“uvre questionne notre rapport Ă l’intimitĂ© dans un monde oĂą tout est captĂ©, oĂą les frontières de la vie privĂ©e se dissolvent sous l’Ĺ“il insistant des camĂ©ras et des dispositifs numĂ©riques. Au sein des Grands Locos, lieu symbolique de transformation et de mĂ©moire, Delprat offre une rĂ©flexion sur les traces que nous laissons, volontaires ou non.
Pilar AlbarracĂn – Marmites enragĂ©es (2006)
Pilar AlbarracĂn nous plonge dans une atmosphère de tension domestique avec Marmites enragĂ©es, une installation constituĂ©e de dizaines de cocottes-minute qui s’activent en libĂ©rant de la vapeur lorsque le visiteur s’approche. Symbole de la cuisine et des tâches domestiques traditionnellement associĂ©es aux femmes, cette installation dĂ©tourne ces objets pour en faire des instruments de revendication. Avec un rythme cadencĂ© qui Ă©voque l’Internationale socialiste, Marmites enragĂ©es devient une scène de protestation silencieuse mais vibrante, Ă©voquant la rĂ©volte et la puissance latente. Dans le contexte des Grands Locos, ces marmites en Ă©bullition renvoient Ă la fois aux luttes ouvrières et aux combats fĂ©ministes, interrogeant la place des femmes dans la sociĂ©tĂ© et dans l’histoire.
Mona Cara – Le Cactus (2024)
InspirĂ©e par le cafĂ© VoĂŻla Ă Hyères, l’Ĺ“uvre textile de Mona Cara intitulĂ©e Le Cactus interroge la notion d’identitĂ© collective et de rĂ©sistance sociale. En utilisant des matĂ©riaux comme le tissage jacquard, la dentelle et des fils recyclĂ©s, Cara crĂ©e un monde hybride et dystopique oĂą des figures inspirĂ©es de la culture populaire cĂ´toient des symboles de luttes sociales. L’œuvre Ă©voque l’idĂ©e de la rĂ©silience face aux dĂ©fis environnementaux contemporains. Avec un humour dĂ©calĂ©, Mona Cara utilise des rĂ©fĂ©rences culturelles telles que Doctor Who et Peppa Pig pour rappeler que le chaos de la sociĂ©tĂ© moderne peut aussi ĂŞtre source de renouveau et d’espoir.
Jean-Christophe Norman – Le Fleuve sans rives (2024)
L’installation de Jean-Christophe Norman, intitulée Le Fleuve sans rives, est une exploration introspective du temps, de l’espace et de la pratique de l’écriture. Construit à partir de pages peintes à l’huile et à l’encaustique, l’artiste crée un fleuve de mots qui coule sans fin, où chaque fragment littéraire se nourrit des mots d’auteurs comme Conrad, Shakespeare, et Rimbaud. Cette œuvre performative rend hommage à la littérature de voyage et à la quête de l’infini, transformant l’espace en une carte géographique imaginaire. Elle invite les visiteurs à naviguer au gré des mots, comme on suit un courant, dans une expérience méditative qui rappelle l’immensité des fleuves.
Nefeli Papadimouli – Idiopolis (I – X) (2024)
Dans Idiopolis (I – X), Nefeli Papadimouli explore la notion d’espace commun Ă travers la relation entre l’architecture et le corps. Ses sculptures textiles, conçues avec des matĂ©riaux variĂ©s tels que le coton, le lin et le jonc de verre, sont Ă la fois statiques et dynamiques, prĂŞtes Ă s’animer sous l’impulsion d’acteurs ou de performers. InspirĂ©e par les anciens théâtres syndicaux, elle mĂŞle les notions d’indĂ©pendance et de cohĂ©sion pour symboliser un espace de rencontre et de cohabitation. Papadimouli propose ici une rĂ©flexion sur les connexions humaines et sociales dans des lieux collectifs, rappelant la mĂ©moire ouvrière des Grands Locos.
Bastien David – Sensitive (2024)
Passionné par la richesse du monde sonore, Bastien David présente Sensitive, une installation sculpturale et sonore qui s’apparente à un organisme vivant. Constituée d’instruments créés par l’artiste, l’œuvre prend vie lorsque le public en active les éléments, déclenchant une symphonie de sons et de vibrations. Sensitive encourage la participation, et à travers le contact physique et acoustique, elle illustre la manière dont les corps peuvent être en harmonie. Cette sculpture orchestrale propose une expérience immersive, où chaque spectateur devient une note dans la mélodie collective, à l’image des travailleurs des Grands Locos qui œuvraient ensemble pour faire fonctionner cette gigantesque machinerie industrielle.
Andrius Arutiunian – End Pull (2024)
Dans End Pull, Andrius Arutiunian explore les notions d’accord social, esthĂ©tique et politique Ă travers des formes hybrides de son et de vidĂ©o. L’Ĺ“uvre, tournĂ©e dans le lit d’une ancienne rivière armĂ©nienne, interroge la rĂ©pĂ©tition et le rythme, rendant hommage au film Wavelength de Michael Snow. Arutiunian superpose des images hypnotiques de paysages et des sons atmosphĂ©riques, Ă©voquant les traditions et rituels liĂ©s Ă l’eau. Cette installation immersive nous plonge dans un univers sensoriel, oĂą les rĂ©pĂ©titions crĂ©ent un Ă©tat hypnotique qui perturbe notre perception du temps et de l’espace.
Lina LapelytÄ— – The Speech (2024)
L’Ĺ“uvre The Speech de Lina LapelytÄ— remet en question le pouvoir du langage et la place de l’individu dans la communautĂ©. Ă€ travers une performance sonore et visuelle, LapelytÄ— explore l’absence de parole comme un moyen de communiquer des Ă©motions profondes. InspirĂ©e par les rĂ©cits de la nature et du silence, elle utilise des chants et des gestes pour exprimer les connexions entre les ĂŞtres vivants, crĂ©ant ainsi un langage universel qui transcende les mots. The Speech interroge la manière dont les ĂŞtres humains et animaux peuvent coexister et s’entendre sans le recours Ă un langage articulĂ©.
Chourouk Hriech – L’Oasis des oiseaux (2024)
Chourouk Hriech nous transporte dans un univers poĂ©tique avec L’Oasis des oiseaux, une installation mĂŞlant dessins Ă l’encre de Chine, vidĂ©os et compositions sonores. InspirĂ©e par les migrations d’oiseaux, l’œuvre explore la libertĂ© et le voyage, en proposant des paysages imaginaires oĂą se rencontrent faune, flore et symboles gĂ©ographiques. La juxtaposition de motifs vĂ©gĂ©taux et architecturaux crĂ©e un univers visuel riche et foisonnant, invitant le visiteur Ă voyager Ă travers des Ă©poques et des territoires. L’installation symbolise les liens profonds entre l’homme et la nature, en rappelant que les migrations ne concernent pas uniquement les oiseaux, mais aussi l’humanitĂ© en quĂŞte de nouvelles terres et de libertĂ©.
Jesper Just – Interoceptions, 2024
La pratique de Jesper Just s’articule autour de la vidéo et de l’installation, qu’il associe dans des environnements à l’architecture complexe. Déplaçant les codes et les techniques du cinéma dans le domaine des arts plastiques, l’artiste met à mal les schémas traditionnels et linéaires de la narration et de la dramaturgie. En créant des situations énigmatiques et ambiguës, il incite le public à se confronter, non pas à des mots ni à des personnages, mais aux actions réalisées par les personnages, aux images, aux émotions, les états psychiques sur les relations portées par les œuvres.
L’installation vidéo Interoceptions met en scène un espace-temps perturbé d’une forêt, plongée dans une métamorphose continuelle entre le jour et la nuit. La forêt est filmée six fois dans la même journée. Réunis bout à bout, les différents moments tissent ensemble dans la machine à remonter le temps, l’œuvre vidéo fait visuellement allusion aux dispositifs des musees pré-cinématographiques, alors que le son est intensément circulaire. La structure en tubes de l’installation renvoie à la treille et en tant qu’élément à la fois d’ouverture et de fermeture entre l’espace d’exposition et l’espace cinématographique. Dans la Rome antique, les colonnes et les clôtures servaient à s’y formater ainsi des lieux de sociabilité frontaliers. L’idée de la ségregation, avec les passerelles symboliques d’ouverture dans des lieux intermédiaires et marginaux.
Juliette Green – Dans le train, 2024
Juliette Green est nĂ©e en 1995 Ă Semur-en-Auxois, France, et vit Ă Paris. Son travail est basĂ© sur des illustrations explorant des rĂ©cits fictifs, souvent sous forme de cartographie et d’inventaire, pour offrir une relecture poĂ©tique des expĂ©riences du quotidien. Avec Dans le train, elle Ă©voque des rencontres brèves et intenses, oĂą les voyageurs, observateurs silencieux, partagent un espace commun. L’installation cĂ©lèbre ces instants Ă©phĂ©mères et propose une rĂ©flexion sur le rĂ©seau complexe des liens, des souvenirs et des expĂ©riences collectives et personnelles vĂ©cues dans le cadre de la mobilitĂ© urbaine. Ses dessins proposent un espace narratif oĂą les voix s’entremĂŞlent, crĂ©ant une cartographie humaine et sensorielle du voyage en train.
ClĂ©ment Courgeon – La chariotte des malins, 2024
NĂ© en 1997 Ă Paris, France, ClĂ©ment Courgeon est un artiste pluridisciplinaire qui s’inspire des traditions carnavalesques et des pratiques populaires. La chariotte des malins est une Ĺ“uvre qui invite le spectateur Ă interagir avec un dispositif mobile oĂą se croisent performances et installations. L’artiste revisite l’univers forain et des marionnettes Ă la française, proposant une vision contemporaine et engagĂ©e du divertissement. Cet espace mouvant, animĂ© par Courgeon et ses complices, devient un lieu de rencontre et de rĂ©flexion pour le public, interrogeant la limite entre l’artiste et le spectateur.
Healthy Boy Band feat. Public Possession (Collectifs basés à Vienne, Autriche et Munich, Allemagne)- Public Health Care, 2024
Fondé par les chefs Lukas Mraz, Philip Rachinger et Felix Schellhorn, le collectif Healthy Boy Band développe une approche à l’intersection de la cuisine et de la création artistique, entre restauration rapide et haute gastronomie, installation participative et performance collective. Fondateur du magazine Healthy Times, créé autour d’une eau de ski à partir de neige fondue et de sirop de framboise, organisateur d’une course de fond Save the Queen (La course sauve la reine), le groupe favorise l’alimentation et l’improvisation dans ses actions pluridisciplinaires. Envisageant la collaboration des artistes, photographes, musicien·nes et cuisinier·es au sein d’une installation multi-sensorielle ouverte au public, l’œuvre Public Health Care réalisée en collaboration avec Public Possession, un collectif fondé en 2012 par Valentino Beltz et Marvin Schuhmann, lui ont pensé les rites de la table, le design graphique et les happenings.
Considérant qu’un café, un restaurant ou tout espace de restauration est un lieu d’ouverture à l’autre, les collectifs Healthy Boy Band et Public Possession se sont pour l’œuvre Public Health Care à Sandwip, pour ouvrir temporairement leur canot d’un table durable, en pensant la diversité culturelle en société. L’installation revisite la dissémination des produits alimentaires et des savoir-faire liés à la fermentation, le plaisir de la table et l’art d’hériter ensemble de nouvelles formes de gastronomie et de rites collectifs.
Bocar Niang – Murdesmots, 2024
Bocar Niang est issu d’une famille de griots : poètes, conteurs, qui ont pour tâche de conserver et de transmettre les traditions orales des communautés africaines. Sa recherche artistique se fonde d’Afrique. Sa recherche d’énervement qui fait la récite d’histoires performantes orales à partir de recueils sonores, des textes et enregistrements multilingues contemporains, afin de créer de nouvelles narrations et à partager et à l’égard de la culture de griots de conscience des histoires qu’ont renforcé les liens entre les individus.
Suspendue dans les halles des Grandes Locos, l’installation textile Murdesmots compose un récit poétique dans l’espace : soixante-dix mots, glanés par l’artiste au cours de ses déplacements, sont traduits et symboles de la française, italien, peul et wolof. Rencontre entre les langues, un acte de dictionnaire visuel constitue le livre sonore de la poésie multiculture. Actes par Bocar Niang à l’occasion de lectures publiques, le Murdesmots invite au partage, à la prise de parole, à la polyphonie et à toutes les formes d’oralité, déclamées, chantées et jouées.
Deimantas Narkevicius – Stains and Scratches, 2017
Toute l’œuvre vidéo de Deimantas Narkevičius explore l’histoire à partir d’un point de vue subjectif. Recourant souvent à l’esthétique et aux techniques du cinéma documentaire, l’artiste utilise des interviews, des images d’archives et des voix off pour examiner les relations entre souvenirs personnels et toutefois compte de l’impossibilité d’adopter un regard objectif sur les événements et la complexité de la mémoire. S’ils évoquent toujours sa Lituanie natale, ses films trouvent une résonance plus large en tant qu’études poétiques et politiques de vies ordinaires vécues à l’époque de grands bouleversements.
Jouant sur des effets d’illusion stéréoscopique, l’installation vidéo Stains and Scratches (Tâches et rayures) renvoie à un épisode mémorable de la culture alternative lituanienne. Un vinyle de l’opéra rock Jésus Christ Super Star parvient clandestinement sur la scène underground par un groupe d’étudiant·es, qui interprète ensuite la comédie musicale interdite à l’Institut d’art de Vilnius le 25 décembre 1971. C’est à partir de la seule trace matérielle de l’événement — le film Super 8mm, sans son, abîmé par le temps — que Deimantas Narkevicius décide de reconstituer le concert. La numérisation du film en noir et blanc et sa transformation en projection 3D permettent d’entrevoir un opératique faite de gestes et d’illusions corrodées face les aspirations politiques, artistiques et personnelles de la jeunesse se confrontant au mutisme et à l’immobilisme informationnels. À partir d’une exploration de la matérialité du support — ses taches et ses rayures — l’œuvre de Deimantas Narkevicius donne à voir et à entendre un morceau d’histoire.
Nathan Coley – Burn the Village, Feel the Warmth
Les œuvres de Nathan Coley questionnent la charge sociale et politique de l’architecture et de l’espace public, leurs influences sur les comportements et le mode de pensée des populations. Qu’il s’agisse d’installation, son travail artistique comme un outil de communication entre un site et un public : « Mes objets peuvent parler en mon absence », affirme-t-il. Traversé par les questions d’identité, de propriété et de croyance, le travail de Nathan Coley invite à la réflexion, au débat et à l’engagement.
Montées sur des échafaudages, les enseignes lumineuses de Nathan Coley se composent de mots issus de différents contextes, tels des extraits de textes historiques, de chansons populaires ou encore de brèves sociales à la suite d’émeutes survenues dans les rues de Londres au cours de l’été 2011, l’expression Burn the Village, Feel the Warmth (Brûler le village, sentir la chaleur) décrit le sentiment de mécontentement qui a éveillé la colère des manifestant·es. Criant une injustice que subissent les populations des destructions qui pourraient advenir si les injustices ne sont pas portées dans le débat. Placée dans des anciennes usines ferroviaires, l’énonciation résonne à l’intérêt de Nathan Coley que l’appropriation d’une formule ou le parapluie la politique d’un territoire. De par l’usage de l’échafaudage, portable — et de sa résonnance possible dans un autre contexte.
Olivia Funes Lastra- Au-delà de la mer, une rivière (Beyond the sea, a stream)
Abstrait et colorĂ©, le travail pluridisciplinaire d’Olivia Funes Lastra explore les thèmes de l’hybridation, de la traduction et des pigments. Utilisant des tissus teints et peints, l’artiste assemble des architectures Ă©phĂ©mères mobiles aux portemanteaux suspendus. Cette installation invite les spectateurs Ă redĂ©couvrir les formes et les couleurs Ă travers une sorte de voyage poĂ©tique.
Espace collectif structurĂ© autour de couleurs vives et de formes fluides, l’Ĺ“uvre de Lastra offre un Ă©cho aux scènes industrielles et Ă l’histoire des Grands Locos, transformĂ©s ici en une scène de la diversitĂ© et de la rencontre culturelle.
Jeremy Deller
Attentif à l’histoire sociale, à l’actualité politique et à la mémoire collective, Jeremy Deller développe une pratique qui évolue entre art conceptuel, performance, installation et vidéo. Préférant « travailler avec les gens plutôt qu’avec les choses », l’artiste assemble des personnes issues d’horizons différents pour créer des instances de désobéissance et de rébellion aussi variées que des fêtes populaires, des archives documentaires ou des supports militants. Depuis 2000, il collabore avec Ed Hall, qui réalise des bannières pour des syndicats politiques ou des associations britanniques.
Les bannières de Jeremy Deller affichent des messages que chacun peut comprendre et faire siens – « Nous avons besoin de plus de poésie », « Fumer tue », « À chaque époque son fascisme »… Jouant avec les couleurs et les hauteurs, ces banderoles évoquent les parades populaires et célèbrent des valeurs fortes de solidarité entre les peuples. « J’adore les drapeaux – et peut-être que tous les humains, cela fait presque partie de notre ADN d’être instinctivement attirés » en raison des grands événements publics qui nous rassemblent » affirme l’artiste. Complétées par des vidéos documentant des processions et marches de protestation, elles abordent des questions de dignité, de mémoire et d’appartenance, et sont installées dans les Grands Locos, anciennement des ateliers ferroviaires, les installations textiles et vidéo de Jeremy Deller rappellent l’esprit des luttes des ouvriers de la SNCF et les grandes parades syndicales qui animaient autrefois les lieux.
Hervé Troccaz
Notre avis : un voyage artistique au cœur de la mémoire industrielle
Après les usines Fagor en 2022, la Biennale d’art contemporain de Lyon investit cette annĂ©e un autre espace emblĂ©matique de l’histoire industrielle lyonnaise : les Grandes Locos. Ce lieu, chargĂ© de mĂ©moire, apporte une nouvelle dimension aux Ĺ“uvres qui y sont prĂ©sentĂ©es. Le hall 1, vĂ©ritable cathĂ©drale de mĂ©tal et de lumière, se rĂ©vèle grandiose et sublime les installations. Les artistes semblent avoir intĂ©grĂ© la monumentalitĂ© de cet espace, crĂ©ant des Ĺ“uvres Ă l’ampleur impressionnante, parfaitement en dialogue avec cette architecture industrielle. Les Grandes Locos accueillent sans conteste les propositions les plus saisissantes de l’Ă©vĂ©nement, offrant un parcours spectaculaire qui captive le visiteur dès les premiers pas.
Chacun pourra y trouver son compte, tant les propositions sont hĂ©tĂ©rogènes, passant de la performance sonore aux sculptures monumentales. Nos coups de cĹ“ur vont sans hĂ©siter aux cocottes-minutes de Pilar AlbarracĂn. Cette installation audacieuse dĂ©tourne l’objet de cuisine pour en faire un outil de protestation : les jets de vapeur se synchronisent avec l’Internationale, transformant un symbole domestique en un manifeste fĂ©ministe et social. De mĂŞme, l’Ĺ“uvre poĂ©tique de Chourouk Hriech, L’Oasis des oiseaux (2024), invite Ă une Ă©chappĂ©e onirique et un dialogue harmonieux entre nature et urbanitĂ©. Les oiseaux migrateurs, symboles de libertĂ© et de voyage, peuplent cet univers Ă la fois serein et foisonnant de dĂ©tails, capturant l’essence du lien entre l’art et l’environnement.
L’un des points forts de cette Biennale réside dans le rapport étroit entre art et espace, qui rend cette édition particulièrement immersive et intéressante. Les œuvres dialoguent avec les lieux, jouent avec les volumes et exploitent l’acoustique, provoquant des émotions très diverses chez les visiteurs. On passe tour à tour par l’étonnement, face aux installations imposantes et parfois insolites, et par l’amusement, notamment avec des œuvres plus ludiques et interactives. L’immensité des Grandes Locos permet à l’art contemporain de s’exprimer sans restriction, offrant un véritable spectacle sensoriel.
Par contraste, la CitĂ© Internationale de la Gastronomie, autre site de la Biennale, laisse une impression plus mitigĂ©e. Bien que l’idĂ©e de lier art et gastronomie soit sĂ©duisante, le rĂ©sultat manque de l’authenticitĂ© brute que l’on retrouve aux Grandes Locos, l’ensemble paraissant quelque peu aseptisĂ© et en dĂ©calage avec l’esprit crĂ©atif et audacieux de la Biennale.
Au MusĂ©e d’Art Contemporain (MAC), la Biennale explore d’autres mĂ©diums : peinture, vidĂ©o et photographie sont davantage Ă l’honneur. Le MAC se distingue ainsi comme un espace plus introspectif, oĂą l’on prend le temps de s’immerger dans des Ĺ“uvres contemplatives, offrant une expĂ©rience complĂ©mentaire Ă celle des Grandes Locos.
Cette édition de la Biennale de Lyon se révèle particulièrement riche et aboutie. Elle réussit à captiver un large public en jouant sur la diversité des formes et des propositions artistiques, tout en tirant pleinement parti des espaces emblématiques de la ville. Les Grandes Locos, avec leur charme industriel, constituent un écrin unique pour les installations les plus marquantes, où chaque recoin devient une invitation à la découverte et à la réflexion.
Biennale d’art contemporain de Lyon 2024 – Informations pratiques
17e biennale d’art contemporain de Lyon 2024, Les voies des fleuves
đź“… Du 21 septembre 2024 au 5 janvier 2025
Les Grandes Locos
đź“Ť10 rue Gabriel PĂ©ri
69350 La Mulatière
🚇 Gare d’Oullins
Tarifs et réservations pour la Biennale d’art contemporain 2024
Vous devrez acheter vos billets sur la billetterie en ligne ou sur place.
A lire également sur 7 à Lyon, le guide de vos sorties à Lyon : Fête des Lumières 2024 à Lyon : le changement, c’est maintenant !