SOUS LES PAVES, LES LIVRES

Marché des bouquinistes
Marché des bouquinistes

Vous promenant le long de la Saône, vous avez certainement aperçu ces  boîtes métalliques fixées au parapet du quai. Elles sont fermées ou bien ouvertes, débordant de livres, de revues d’occasion. Elles s’offrent aux regards des passants et des chineurs qui peuvent venir chercher là un ouvrage ancien ou un souvenir de Lyon. Faisons ensemble un tour géographique et historique de cette étrange profession…

Pour notre promenade, prenons rendez-vous sur la Rive Gauche de la SaôneQuai de la Pêcherie à Lyon 1er,  entre les ponts de la Feuillée et Alphonse juin. C’est un marché ouvert aux professionnels avec des boites fixes numérotées, qui fonctionne tous les Week-end de l’année  et toute la Journée.

PRESENTATION GENERALE

Créé il y a 27 ans, ce Marché du livre d’occasion est géré par la ville de LYON qui loue ces boites au trimestre environ  230€. Si, aujourd’hui les vendeurs ont perdu environ 50% de leur chiffre d’affaire, c’est en partie à cause des travaux effectués sur le quai et à la conjoncture économique.

Ce sont 21  boites qui sont ainsi installées sur le parapet du quai haut de Saône dans la presqu’îles :

Une vingtaine de  bouquinistes qui les gèrent sont  des vendeurs de livres indépendants, dont certains disposent de deux boites : Alain LEGER, Sylvain REVOL, Moïse LECONTE, Jean-Luc LEFARSGES, Mohamed BEN MESSAOUD, Pierre SAGNIAL, Nadine BEJARD , Anne PIOLLET, Bruno DUPOND , Luc SEGNEBOSC, Jean-Baptiste BLANCHET, Jean-Pierre GODRAN, Roger BIDON, Guy COQUARD…

Ils proposent aux promeneurs environ 4.000 ouvrages différents: revues et livres anciens ou d’occasion dont certains soit épuisés et donc pas réédités. Le lecteur pourra parfois découvrir  des éditions numérotées quasiment introuvables. Un certain nombre d’anciens bouquinistes ont pris boutiques et ouvert des librairies de livres anciens de l’autre coté de la chaussée ou simplement immigrés entre la Place Bellecour et Perrache rue Augustes Comte (Clagahé au N°38, Ancre Aldineau N° 65), dans le quartier historique du Vieux Lyon, à la Croix-Rousse sur les hauteurs de la ville  ou disséminés  dans la ville (Diogène29 rue ST Jean LY , Hérode34 rue St Jean, Le père Pénard2 quai Fulchiron, Vaissellet Jean-Pierre21 rue Cyrano LY3e, L’Epigraphe 2 rue de Cuire et Le livre à Lili5 rue Belfort LY4e, Le livre des pentes 18 rue Pierre Plantet, La librairie de la Bourse8 rue lanterne , Un petit noir57 montée Gde Côte, Librairie Bourse2 rue Joseph Serlin à LY 1er, Librairie du Parc de la Tête d’Or 94 Bd des Belges LY6e, Merolle 117 Bd Stalingrad LYON 6e.

Outre les bouquinistes du  quai de Saône et les librairies de livres anciens, plusieurs marchés du Livre ont lieu chaque semaine: le Mercredi Place Carnot, Samedi Boulevard de la Croix-Rousse, 1er et 3e Samedi du mois Place Maréchal Lyautey,2e et 4e samedi   Place Edouard CommetteLYON  ( prèsde la cathédrale ST Jean) 1er et 3e DimanchePlace Raspail(fosse aux ours), 1er dimanche du mois Place Jean Macé, 2e et 4e Dimanche Place des Frères  Lumièreà Montplaisir.

AU FAIT, POURQUOI CETTE APPELLATION DE BOUQUINISTES ?

L’édition de 1762 du Dictionnairede l’Académie française mentionne le mot « bouquiniste » pour désigner « celui qui vend ou achète de vieux livres, des bouquins ».
L’origine et l’étymologie du terme « bouquin » ne sont elles-mêmes pas très claires, mais ce mot vint très vite à désigner un livre d’occasion, sans intérêt majeur. Peut-on imaginer un lien avec le mot anglais « book », lui-même proche de l’allemand « Buch »? Cela ne semble pas le cas. Une autre explication est parfois fournie: autrefois, un livre ancien fait avec une reliure pleine, par exemple en veau, et qui était resté des années sans utilisation dans une bibliothèque humide et mal aérée, finissait par moisir dégageant une odeur forte rappelant l’odeur d’un bouc, dénommé aussi bouquin. Par simplification l’on aurait donné le nom de bouquin à un vieux livre porteur de cette odeur, puis plus généralement à tout vieux livre dont on fait peu de cas…

 

Remontons au XVIe siècle

Les bouquinistes perpétuent à leur façon la tradition des petits marchands colporteurs de journaux, « bouquins » et almanachs (calendriers et brochures contenant des renseignements divers: recettes de cuisine, trucs et astuces…) du XVIème siècle.
À cette époque, le développement de l’imprimerie a boosté le commerce des livres, tant au niveau de la corporation des libraires officiels que des petits marchands ambulants et autres colporteurs. Ces derniers étalaient leur « culture » sous la forme de livres posés sur des tréteaux ou par terre sur des toiles ou encore déambulaient en portant sur leur poitrine une boîte en bois ou en osier maintenue par une courroie de cuir autour du cou. De véritables petites librairies portatives qui représentaient une réelle concurrence pour les libraires à demeure et échappaient à la censure active à cette époque.

Ces colporteurs subirent alors la vindicte de l’Église et les tracasseries administratives avec multiplication des édits, arrêts et sentences à leur égard. Un arrêt royal en 1577 notamment les assimilait aux larrons et receleurs. Les bouquinistes se sont toujours vu attribuer un petit côté sulfureux, voire anarchistes.

 

PETITE HISTOIRE DES BOUQUINISTES

L’histoire des bouquinistes débute à Paris. Dès son inauguration en 1605, le Pont-Neuf a attiré les marchands et les chalands. Il restera pendant deux siècles et demi, et malgré de nombreux aléas, l’emplacement privilégié de ces « marchands de livres » et donc un lieu d’affrontements avec la corporation des libraires et les pouvoirs royaux.

En 1649, un règlement interdit ces boutiques ambulantes et l’étalage de livres sur le pont, au motif d’avilissement de la profession des « vrais » libraires. Il est vrai que c’est sur ce Pont-Neuf que l’on vendait le plus de pamphlets politiques et religieux et gazettes à scandales et notamment les fameuses mazarinades.

Les colporteurs ainsi chassés devront obtenir un agrément pour retrouver leur activité. Ils pourront dès lors exhiber un emblème: un lézard regardant une épée. Explication: le bouquiniste qui travaille dehors est, comme le lézard, toujours à la recherche d’un emplacement au soleil. Les libraires de la corporation ayant le privilège de porter l’épée, les bouquinistes montraient ainsi leur désir de rejoindre cette « noble » profession.

Au tout début du XVIIIème siècle, les bouquinistes voient leur commerce repartir sur le Pont-Neuf, mais aussi sur les quais et les rues autour du Pont Saint-Michel. Mais dès 1721, un arrêt de Louis XV interdit tout commerce de livres neufs et d’occasion sur les voies publiques. Les récalcitrants connaîtront même la prison…
Sous Louis XVI, une certaine tolérance permit aux bouquinistes de revenir sur le Pont-Neuf et ses alentours.

Pendant la Révolution et de façon apparemment paradoxale, les bouquinistes prospèrent. En effet, si la production de livres neufs marque une forte baisse (seuls étaient imprimés les journaux et brochures révolutionnaires ainsi que des chants patriotiques) par contre, les réquisitions et pillages des bibliothèques des nobles et du clergé viendront remplir les étalages de livres de qualité, parfois rarissimes, ce qui va contribuer à jeter un soupçon sur la probité des commerces des bouquinistes

La sédentarisation et la concession

Une évolution importante a lieu en 1859 sous Napoléon III. D’une part les marchants ambulants disparaissent avec la réfection des chaussées et trottoirs et d’autre part les bouquinistes peuvent se sédentariser sur des concessions ouvertes par la ville essentiellement sur la rive gauche. On compte alors 68 bouquinistes concessionnaires dont 55 sur la rive gauche, 11 sur la rive droite et 2 dans la Cité. En 1993, ils sont presque 4 fois plus!

Mais ce n’est qu’en 1891que les boîtes furent fixées au parapet sans plus avoir à être déplacées quotidiennement. Ceci permit d’augmenter leur gabarit.

La forte création littéraire de cette seconde moitié du XIXème siècle, avec de nombreux écrivains de renom, favorisera le développement de ces bouquinistes concessionnaires. On comptera 156 bouquinistes en 1892 et 200 en 1900. C’est en 1930 que les dimensions actuelles des boîtes seront déterminées pour donner une uniformité aux étalages. La vente exclusive de livres fut alors exigée et les bouquinistes ne pourront plus disposer simultanément d’une boutique…

Gérard SERIE

Crédit photos : Gérard Sérié