VOYAGE, VOYAGE
« Tout bien considéré, il y a deux sortes d’hommes dans le monde : ceux qui restent chez eux et les autres ». Rudyard Kipling
La vie d’aventure d’Hugo Pratt se confond avec celle de son héros. Le sergent Kirk, les Scorpions du désert, Ann de Jungle et Corto Maltese sont autant d’invitations à explorer le monde. Un « Ailleurs » empreint de chamanisme et d’exotisme. L’horizon pour seule limite, pour seule frontière. Citoyen du monde, l’auteur a vécu sur les cinq continents.
Une fois de plus, et comme la plupart des expositions présentées au Musée des Confluences, la scénographie demeure remarquable, spectaculaire et au service de l’œuvre du dessinateur. Le visiteur est happé par ces planches de dessins immenses, qui se trouvent confrontées à des pièces d’ethnographie issues des collections du Musée. Au total, 94 pièces (masques, sculptures armes et même têtes réduites) sont mises en relation avec leur représentation graphique. Dans des vitrines dites « apparitions », le dessin rétro éclairé révèle l’objet.
Les cases de bande dessinée en très grand format immergent littéralement le visiteur dans cet univers en noir et blanc
Ces dernières demeurent des clés de compréhension pour mieux appréhender le souffle d’Hugo Pratt.
L’exposition « Lignes d’horizons » imaginée en collaboration avec des proches de l’artiste (parmi lesquels sa collaboratrice pendant 17 ans, Patrizia Zanotti et son ami, l’historien Michel Pierre), est une invitation au voyage, mais aussi à la liberté. Elle fait la part belle également aux influences du dessinateur, à commencer par Milton Caniff, talentueux dessinateur américain de bandes dessinées. Ses séries Terry et les Pirates (1934) et Steven Canyon (1947) furent traduites dans le monde entier. Par son incroyable maitrise du noir et blanc, son sens du découpage et le rythme de ses scénarios, il exerça une influence majeure sur Hugo Pratt.
Ce dernier a conçu des bandes dessinées comme d’autres ont tourné des long-métrages. Il était à la fois scénariste, cadreur, monteur, chercheur d’effets spéciaux, compositeur de la musique et de la bande son. L’âge d’or d’Hollywood son école, Fellini fut son ami, le septième art une passion toujours renouvelée.
Faites escale
Dans le droit fil de la littérature d’aventure associant le grand large aux grands espaces, les océans aux déserts, la forêt amazonienne, aux plaines mongoles, Hugo Pratt a multiplié les escales pour son héros Corto Maltese. L’auteur a également fait naitre d’autres personnages sous d’autres latitudes, comme Ann en Afrique, Jesuit Joe dans le Grand Nord canadien, ou les protagonistes de Wheeling à l’est des Etats-Unis. Ces horizons sont également ceux parcourus par les voyageurs, géographes et ethnologues d’Occident. Il en reste un dialogue mêlant cet héritage aux cultures et civilisations qui ont inspiré le dessinateur.
Il était une fois dans l’Ouest
Wheeling est une petite ville de Virginie occidentale, marquée par les guerres de la fin du 18esiècle. C’est le lieu où s’entremêlent la résistance des nations indiennes et l’inexorable avancée des colons, alors que commence la guerre d’indépendance américaine et que subsistent des traces de présence française. C’est à partir de cette ville et de son histoire, dont il devient peu à peu un remarquable connaisseur, qu’Hugo Pratt développe sa restitution en textes et en images d’un certain Ouest américain.
C’est le Nord !
Marqué par la lecture des œuvres de Jack London, James Oliver Curwood, Hugo Pratt a donné à so tour son tribut au Grand Nord canadien et à sa police montée dans l’album Jesuit Joe. Il y restitue avec brio la violence de la nature et celle des hommes. L’auteur prend un plaisir certain à dessiner la masse sombre des forêts, le blanc de la neige et les fleuves gelés, la rutilance des uniformes, et avec une grande précision ethnographique, les vêtements et objets indiens.
Un héros d’un style immédiatement reconnaissable et d’une élégance folle
Avec une silhouette élancée, marquée par un pantalon blanc propre à la marine, Hugo Pratt a sû doter son héros d’un style immédiatement reconnaissable et d’une élégance folle ! Le caban se porte avec le col relevé, mais laisse apercevoir la boucle sur l’oreille gauche. La lavallière n’est jamais strictement nouée et la casquette, simplement posée sur la tête, se maintient même dans la tempête.
L’élégance du personnage de vérifie de vignette en vignette. Corto possède un appartement à Hong Kong dans un quartier « plein de truands et de jolies femmes ». Un piano à queue trône au milieu de son salon, dont l’un des murs s’orne d’un Modigliani, et un temps d’un Gauguin, que lui déroba Raspoutine. Il est aussi collectionneur de masques africains, de peintures chinoises et japonaises, de masques africains.
Au final, Corto Maltese est devenu un mythe. Il est évocateur d’un style, d’une attitude de vie, d’une manière de penser le monde, mais aussi d’une ironie sur soi et les autres. Il est un nom de baptême pour les bateaux de marins d’aujourd’hui, rêvant des grandes traversées d’autrefois.
Créateur des figures féminines les plus séduisantes de l’univers du 9 ième art
Si son plus célèbre héros est un homme, l’auteur n’en reste pas moins le créateur des figures féminines les plus séduisantes de l’univers du 9 ième art. Elles parcourent toute son œuvre et entourent particulièrement Corto Maltese, le tentent et l’affrontent, savent l’émouvoir, le rejeter, le regardent droit dans les yeux ou en biais. Elles sont au cœur du récit, mais rarement dans celui du héros, qui un jour a été amoureux, sans que nous en sachions davantage !
La table des vents
Hugo Pratt était passionné de géographie. Lorsqu’il dite les fleuves, les villes, les reliefs, il fait preuve d’une grande précision. Néanmoins son imagination prend le dessus et brouille les pistes. On assiste à la naissance d’une géographie propre à l’auteur, en surimpression à la géographie réelle.
On demeure subjugués également par la création de cette table des vents, une invention ludique et admirable, exhortant le visiteur à parcourir à son tour le globe. Un dispositif audiovisuel ludique et plein de poésie, pour tenter de cartographier son monde. Admirable.
Hervé Troccaz
Crédits photos : photo Bertrand Stoflet
Hugo Pratt, lignes d’horizons
Jusqu’au 24 mars 2019 au Musée des Confluences
Musée des Confluences
Adresse
86 quai Perrache, 69002 Lyon – France
téléphone
(+33) 04 28 38 12 12
horaires
du mardi au vendredi de 11h à 19h
samedi et dimanche de 10h à 19h
jeudi nocturne jusqu’à 22h
fermeture
lundis et jours fériés (1er janvier, 1er mai et 25 décembre)