ALBERT CONSTANTIN, L’HOMME-ORCHESTRE
C’est l’architecte de tous les grands projets et rénovations de ces dernières décennies. De la réhabilitation de la Manufacture des Tabacs à la rénovation de la Halle Tony Garnier et du Stade de Gerland, de la construction de la Tour Incity à la transformation du Grand Hôtel-Dieu, Albert Constantin a marqué de son empreinte les façades et les bâtiments lyonnais. Il raconte pour 7 à Lyon son parcours hors-norme et dans quel esprit il travaille.
Propos recueillis par Hervé Troccaz
Comment est née votre vocation d’architecte ?
J’ai eu envie de construire depuis tout petit. J’ai toujours été attiré par ce domaine d’activité, pour des raisons difficiles à déterminer. C’est une discipline qui correspond à mon caractère mi analytique, mi synthétique. J’ai toujours eu un esprit de synthèse très fort. Construire, c’est comprendre des besoins formulés par des clients. Il faut comprendre le sujet et lui donner du sens. C’est cette dimension qui m’intéresse.
J’ai toujours eu l’esprit d’entreprendre, combiné à un esprit d’équipe. Ce qui n’est pas incompatible avec des décisions fermes. Je décide au final ce que je pense de plus approprié, en concertation avec les collaborateurs et les clients.
L’architecture donne une dimension culturelle, sociale et humaniste à des problèmes sociaux, du quotidien.
Les promoteurs ont besoin d’avoir raison tout de suite, moi je suis au plus proche des utilisateurs. Nous discutons avec mes collaborateurs en concertation avec les futurs utilisateurs des lieux dont nous nous occupons. Mais ces interlocuteurs ont une vision partielle de leur avenir et de l’appréhension de l’espace qu’ilz vont occuper. Notre objectif c’est de se mettre à la place des autres en apportant une vision sociale des choses. Quel plaisir par la suite de vérifier des hypothèses que l’on a formulé ! Même si parfois nous sommes confrontés à des problèmes que nous n’avions pas imaginés.
Votre enfance vous a beaucoup marqué dans votre parcours.
Quand j’étais enfant, j’étais très fonctionnel. Pour moi, construire, c’était avant tout « faire ». J’étais nul à l’école. Et même temps j’avais le sentiment de comprendre des choses différentes que les élèves brillants. Je n’étais pas fait pour suivre des études dans un cursus balisé, j’avais une appréhension différente des choses, j’étais attentif aux détails, des choses que les autres ne voyaient pas. Mon parcours m’a toujours fait contester le système éducatif, car il ne met pas en valeur les caractères atypiques et forts, les talents. C’est fou le nombre de personnes autodidactes que j’ai rencontré par la suite ! Je suis souvent admiratif de ces personnes qui compensent leur manque de culture générale par une vision de la vie très particulière.
Par la suite, votre parcours a littéralement changé quand on vous a confié en 1981 la construction de l’usine SNECMA.
A l’époque les architectes qui avaient pignon sur rue ne s’intéressaient pas au concours, d’autant que ces derniers n’étaient pas rémunérés.J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie, dont celle d’avoir été recommandé pour concourir afin de construire l’usine SNECMA, la Société d’Etude et de Constrcution des Moteurs d’Avions. Concours que nous avons remporté malgré une blague de mes collaborateurs qui avaient collé sur la maquette du projet des miniatures de grévistes. Une anecdote amusante, révélatrice de l’époque post-68.
Par la suite ma vie a complètement changé. L’Usine s’est retrouvée à la Une des journaux, notre cabinet a été médiatisé. Rétrospective ce fût une période exceptionnelle. Le bâtiment a été inauguré par François Mitterrand. Un des membres du conseil d’administration, Jean-Paul Béchat, qui pourtant n’avait pas voté pour moi est venu me chercher pour me confier la construction du siège de Messier Bugatti. Il avait une vision très juste des choses, et cet homme m’a profondément marqué.
Nous avons donc construit le siège social de Messier Bugatti en concertation avec le personnel. Nous leur avons demandé ce qui rentrait en concordance avec leur métier. Le train d’atterrissage fût une formidable source d’inspiration pour nous ! Nous avons construit des façades en bardage, de la haute couture avec des tête des vis et un sens très poussé du détail. J’ai été invité depuis à retourner sur place, à l’invitation du nouveau PDG. A ma grande surprise, rien n’a changé. Tout a été respecté, jusqu’à la taille des haies en escalier. Un bel hommage à notre travail !
Comment avez-vous imposé votre style et votre nom à Lyon ?
Quand j’ai construit en 1990 le siège de ma société Les Ateliers Rize, notre immeuble a attiré de nombreux regards. Petit à petit on nous a confié de grandes opérations, que je n’aurais jamais imaginé piloter, même dans les rêves les plus fous ! Je suis toujours allé au bout de moi-même, en respectant les obligations des clients. J’ai un rapport de confiance avec la plupart d’entre eux.
De la Manufacture des Tabacs, le stade de Gerland, la Halle Tony Garnier, la Tour Incity et maintenant l’Hôtel-Dieu. Difficile d’échapper à vos réalisations ! Quel regard portez-vous sur tous ces édifices ?
Je les regarde en tant que simple spectateur. Ma préoccupation, c’est le projet sur lequel je travaille actuellement. Au début de la carrière, je ne voulais construire que dans du neuf. Pour l’anecdote j’ai croisé dans les années 90 une voyante qui m’a prédit que par la suite j’allais travailler dans de nombreux bâtiments anciens, alors que j’avais horreur de çà à l’époque ! La suite lui a donné raison. Plus de 60 % de mon activité concerne des rénovations. Je trouve passionnant de m’appuyer sur l’Histoire, des lieux qui ont un passé. Par exemple la Manufacture des Tabacs est un lieu de vie pour les étudiants, mais à l’occasion des journées Portes-Ouvertes, je suis toujours ému de revoir d’anciens ouvriers revenir sur les lieux. Ces lieux chargés d’histoires m’obligent à garder des lignes de forces. C’est devenu une véritable passion ! L’architecture joue un rôle social, puisque les bâtiments que nous rénovons s’inscrivent dans un quartier, un environnement.
Crédit photos : AIA – Ateliers de la Rize / service communication